À propos d'Orwell et de l'affaire de Mónica et Francisco

2020
DuitsEngels • Frans • Spaans

Original text in German
Über Orwell und der Fall von Mónica und Francisco
2020
panopticon.blackblogs.org

French translation
No Trace Project

On sait bien que toute métropole est une sorte de panoptique. La vraie question est : quelle ville possède la plus grande densité de technologies de surveillance et avec quelle intensité sont-elles utilisées ?

Ainsi, il est évident que la conception d'Orwell d'une société entièrement sous surveillance était correcte, mais pas exactement dans la dimension ni sur les bases qu'il avait imaginées. En particulier un régime dictatorial, qui était pour lui une base importante pour aboutir à cette surveillance totale, n'est pas nécessaire. La surveillance totale n'est donc pas l'expression d'un système capitaliste particulier, mais est inhérente à son administration politique et son organisation, c'est-à-dire à l'État. C'est donc une fausse dichotomie que de penser que la surveillance totale ne pourrait être le résultat que d'un système plus « autoritaire. » Une telle façon de penser se nourrit du désir et de l'idéologie selon laquelle l'État, entre de meilleures mains, pourrait nous vouloir du bien. On constate aussi cela au sein du débat sur le coronavirus avec des groupes de gauche, mais aussi des anarchistes, qui voient la démonstration de force répressive, l'introduction du couvre-feu, de la quarantaine, etc., comme une évolution protofasciste et ne comprennent pas que l'État, peu importe sa nature — démocratique ou non — est toujours porteur (du monopole) de tels mécanismes et pouvoirs pour garantir sa survie. L'administration politique et l'organisation de l'État ne changent jamais, seuls changent les critères et idéologies des forces politiques au pouvoir. L'État a historiquement utilisé tous les moyens à sa disposition pour garantir son bon fonctionnement. L'État-nation et la société de classe sont donc les conséquences logiques du capitalisme, et pas l'inverse.

On trouve important de rappeler cela parce qu'on cherche sans arrêt à vouloir comprendre les fondements de l'État et du capitalisme, pour pouvoir mieux les détruire. Il y a bien trop d'exemples historiques qui nous montrent les mauvais chemins empruntés quand cela n'est pas clairement établi dès le début.

Maintenant, parlons de l'affaire de Mónica et Francisco.

Le 24 juillet 2020, Mónica Caballero et Francisco Solar ont été arrêté·e·s au Chili. On a déjà beaucoup parlé de l'audience ayant décidé de leur détention provisoire, qui a été diffusée en direct à la télévision. Cette audience n'est pas comparable à ce dont on a l'habitude en Allemagne ou dans d'autres pays européens. Ici, une telle audience dure environ 10 minutes, juste pour déterminer si la personne doit rester enfermée parce que, par exemple, il y a un risque de fuite ou de collusion. C'est apparemment différent au Chili. On ne sait pas trop si c'est toujours diffusé en direct à la télévision, ou si c'est à cause des mesures par rapport au Covid.

On veut brièvement vous présenter Mónica et Francisco. Mónica et Francisco sont deux anarchistes qui avaient déjà été arrêté·e·s au Chili en 2010 pour avoir supposémment mené plusieurs attaques explosives. Dans cette autre affaire, connue sous le nom de « Caso Bombas » (L'affaire des bombes), environ douze personnes ont été inculpées. Les deux ont été libéré·e·s après huit mois de détention provisoire et les poursuites ont été abandonnées. En 2013, les deux ont été arrêté·e·s à Barcelone et condamné·e·s à 12 ans de prison, plus tard réduits à 4 ans et 6 mois, pour avoir supposément posé un engin explosif dans la cathédrale « El Pilar » à Zaragoza, qui a explosé. Après 3 ans et 6 mois, ils ont été déporté·e·s au Chili, en plus d'être interdits de revenir en Espagne pendant huit ans.

Pour que vous vous fassiez une idée, on va essayer de décrire ce qui s'est passé pendant l'audience.

Comme on l'a brièvement expliqué, Mónica et Francisco ont été arrêté·e·s le 24 juillet et le 26 juillet l'audience a commencé et a duré environ 4 heures. Des personnes ou représentants de diverses institutions étaient présents, certaines s'étant constituées parties civiles : le juge, le bureau du procureur, le Ministère de l'Intérieur, la Poste du Chili, la mairie de Santiago et les avocat·e·s des deux inculpé·e·s.

Le juge a d'abord demandé si l'arrestation s'était faite avec ou sans violence. Les deux ont dit qu'iels avaient été mis au sol sans usage de la force, qu'on leur a expliqué la raison de l'arrestation et qu'un mandat a été présenté. Les appartements ont immédiatement été fouillés. C'est le seul moment où Mónica et Francisco vont parler.

Le parquet a alors détaillé ce dont les deux sont accusé·e·s.

Le 25 juillet 2019, un colis piégé est arrivé au commissariat de Huechuraba, apporté par un postier. Il a explosé dans le bureau d'un flic, blessant sérieusement deux personnes, moyennement une troisième, et légèrement cinq autres. Ce qui nous a surprit à ce moment là c'est que tous les flics affectés par l'attaque étaient montrés avec leurs noms et adresses. Ensuite le parquet a commencé à montrer des enregistrements vidéo sous différents angles du jour précédent, qui montrent supposémment l'inculpé déposant deux colis au bureau de poste. Le parquet décrit les vêtements utilisés et le profil de déplacement qui inclut de nombreux taxis. Les plaques d'immatriculation, noms, trajets et prix associés ont été évalués, et il est précisé que les conducteurs de taxis ont été interrogés comme témoins.

Comme l'autocollant sur le colis n'a pas été détruit, il a été possible de rapidement retracer où et quand le colis a été livré. Il est dit que le nom de l'expéditeur du colis est le nom d'un flic. C'est pourquoi un des chefs d'inculpation est l'usurpation d'identité. Un examen comparatif de l'écriture a été réalisé pour montrer que les signatures présentes sur les deux colis ont été faites par la même personne.

Sur une vidéo, on le voit prétendumment monter dans un taxi et se faire conduire en ville. Le conducteur a pu être retrouvé et a décrit l'inculpé. Comme le chauffeur de taxi conduit toujours avec Google Maps, les positions géographiques étaient enregistrées. Sur une vidéo on le voit prétendumment changer de vêtements et avancer avec un sac. Ensuite les vêtements ont été recherchés, et prétendumment retrouvés dans une poubelle le 28 juillet 2019. L'éboueur et des voisins ont témoigné que cette poubelle n'est jamais vidée. Une casquette a été trouvée là, et est aussi visible sur la vidéo du bureau de poste. De l'ADN masculin a été retrouvé dessus ainsi que sur les autres vêtements, qui comportaient aussi d'autres traces ADN.

Le même jour un colis piégé a aussi été envoyé à l'ex-Ministre de l'Intérieur, il a été passé aux rayons X et livré à l'accueil. Il a été désarmorcé et l'ADN de Francisco a prétendumment été retrouvé dessus.

La seconde action qui a eu lieu, selon le parquet, a eu lieu le 27 février 2020 ; deux bombes ont été posées dans un parc. Les deux anarchistes sont accusé·e·s d'avoir fait exploser une bombe pour attirer la police afin que la deuxième bombe explose 25 minutes plus tard et tue des flics. Cela ressort également du communiqué revendiquant cette action.

Donc, comme décrit plus tôt, des chauffeurs de taxis sont interrogés, d'innombrables enregistrements vidéo sont analysés, et des profils de déplacement sont créés. C'est intéressant de voir comment la police enquête. Mónica, par exemple, est accusée d'avoir passé quatre appels téléphoniques pour avertir de la présence des bombes. Toutefois, selon la police, il n'a pas été possible de réagir à ces appels car ceux-ci n'ont pas communiqué assez d'informations. Quoi qu'il en soit, il est dit que ces appels ont été passés depuis le même téléphone et relayés par la même antenne téléphonique située à une distance d'environ 1400 mètres. Il est aussi dit qu'il existe de nombreux enregistrements vidéo d'elle. Quand elle disparaît, le parquet dit que les enquêteurs ont déterminé quel bus elle a pris et pour quel trajet. Puisque tous les tickets sont enregistrés dans un système interne, il a été possible de déterminer quand et où ils ont été achetés. De là, les trajets de Mónica ont prétendumment pu être retracés. Sur l'ensemble de l'audience les vêtements des deux inculpé·e·s, qui se sont prétendumment changé plusieurs fois, jouent un rôle majeur. Au cours de l'audience, le parquet met l'accent là-dessus plusieurs fois, ainsi que sur le fait que les inculpé·e·s ont modifié leur apparence avec des perruques, moustaches, déguisements (par exemple faux ventres, faux nez) et du maquillage.

De plus, les sites web sur lesquels les communiqués des actions ont été publiés ont été présentés comme preuves, dont le site anarchiste multilingue Contrainfo, qui avait aussi été utilisé pour l'action en Espagne en 2013.

Quand les téléphones sont abordés, on voit que l'achat de ceux-ci a joué un rôle. La vendeuse du magasin de téléphones a décrit une personne qui était prétendumment Mónica.

Les autorités ont utilisé des photos des deux trouvées sur les réseaux sociaux pour faire des rapprochements biométriques. Le but de ces derniers étant de prouver que les deux personnes visibles sur les images de vidéosurveillance sont les inculpé·e·s. Les distances entre les yeux, les rides, les grains de beauté, les taches de naissance, les cicatrices de piercing, la taille des oreilles, de la bouche et du nez, et d'autres caractéristiques ont été comparées.

Ainsi que les tatouages, bijoux et chaussures de Mónica, qui correspondent prétendumment aux enregistrements de vidéosurveillance du métro, où on voit une personne tatouée.

Pendant les perquisitions, des vêtements visibles sur les vidéos ont été trouvés.

Pendant l'enquête, durant laquelle les deux étaient sous surveillance, leurs poubelles ont aussi été fouillées pour y collecter de l'ADN, entre autres choses.

Après un an d'une enquête qui n'est pas terminée, environ 20.000 heures d'enregistrements vidéo ont été analysées et d'innombrables témoins interrogés. Les deux sont accusés de tentative de meurtre ainsi que de pose d'engins explosifs.

Francisco purge sa peine dans une prison de haute sécurité et Mónica dans une prison « normale ».

Pour le moment, la durée de détention provisoire est fixée à six mois.

Bien sûr, de nombreuses autres choses ont été mentionnées pendant les quatre heures d'audience mais seraient redondantes ou trop détaillées pour être abordées ici, comme les taxis, les tickets, les vêtements et les profils de déplacement.

On trouve impressionnant de voir la manière dont cette audience a eu lieu au Chili pour cette affaire, et la quantité de « preuves » déjà présentées à une telle audience. Sans du tout être expert·e·s de comment ça se passe au Chili, on pense que pour diverses raisons il y a une volonté d'être efficace. Qu'est-ce qu'on veut dire par ça ?

À cause de la situation politique actuelle au Chili, étant donné la révolte qui a lieu depuis octobre 2019, la situation politique et économique désastreuse du pays, ils veulent faire un exemple et, par-dessus tout, se venger de Mónica et Francisco qui n'ont pas pu être emprisonnés en 2010.

Ce sont bien sûr des spéculations et des hypothèses, mais elles ne nous semblent pas invraisemblables. On va continuer d'écrire sur cette affaire et d'exprimer ce qu'on en pense, ainsi que d'autres sujets liés à la répression.

On leur souhaite à tous deux beaucoup de force

Liberté pour tou·te·s les prisonnièr·e·s

Vive l'anarchie

Voici les vidéos de l'audience. Les deux premières sont des enregistrements de l'ensemble de l'audience et la troisième montre juste les preuves du parquet.

  1. Youtube
  2. Youtube
  3. Youtube

Documentaire sur le Caso Bombas : Youtube