Analyse du dossier de « mise sous surveillance » de trois anarchistes

2022
Francese • IngleseTedesco
History

Original text in German
Observationen gegen Anarchist*innen
2022
de.indymedia.org

French translation
sansnom.noblogs.org

Note de la traduction : En Allemagne, l'État est tenu de notifier officiellement aux intéressés qu'ils ont été « placés sous surveillance » (soit en allemand « mis sous observation » avec écoutes, filatures, caméras devant des domiciles…) lorsqu'aucune suite immédiate n'a été donnée à cette dernière, en tout cas si les enquêteurs souhaitent pouvoir utiliser les éléments recueillis dans des procédures judiciaires ultérieures. C'est ce qui vient d'arriver à trois anarchistes de Hambourg.

En novembre 2021, trois anarchistes de Hambourg ont reçu la notification qu'ielles avaient été mis-e-s sous surveillance par les services hambourgeois de Sûreté de l'État de l'Office régional de la police criminelle pendant deux périodes de temps différentes. Ces mesures se placent dans la continuité de la procédure dite « du Banc public ». Il est aussi vraisemblable que les autorités considèrent ces personnes comme des « menaces ».

Mises à part les deux périodes de temps — quelques mois au cours de l'hiver 2020/2021 et deux semaines à la fin de l'été 2021 — la notification contenait aussi les références de dossiers et les informations relatives à ces mesures. Selon ce papier, il s'agissait d'après les paragraphes correspondants d'une « surveillance à long terme » et de « traitement de données par des moyens techniques », et ce uniquement « à l'extérieur des domiciles ».

Suite à cela l'accès aux pièces du dossier a été demandé — c'est la fonctionnaire de police Rönck qui a répondu à cette requête. Elle est déjà connue notamment pour la dite procédure du Banc-Public, comme membre du département de la Sûreté de l'État de l'office régional de police criminelle de Hambourg, où, selon un en-tête, elle est en charge de la « Gestion opérationnelle de la menace ».

Les mesures étaient des mesures de prévention des risques dans le sens de la Loi sur le traitement des données de la police (PolDVG). La police est théoriquement (et donc légalement) dans l'obligation d'informer les personnes concernées dans l'espace d'un an après la fin de ces mesures — à moins qu'un tribunal autorise le report de la notification après 12 mois ou que ces mesures aient donné lieu à une procédure d'instruction. Ou bien lorsque les keufs veulent tout simplement faire passer l'information à la trappe — ils n'informent dans ce cas pas, et les renseignements ne peuvent alors (théoriquement) pas être utilisés officiellement. Mais il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils respectent leurs propres lois, ce qui ne serait d'ailleurs pas rassurant non plus.

On ne peut pas plus faire confiance aux informations contenues dans ce genre de notifications qu'à celles que nous trouvons ensuite dans les pièces de dossier judiciare auxquelles nous avons accès — en particulier parce que ce sont informations qu'en fin de compte les flics livrent volontairement et donc uniquement celles qu'ils veulent bien donner. Il faut alors partir du principe que ni les périodes et les moyens, ni l'ampleur des données prélevées (procès-verbaux de surveillance etc) ne sont effectivement complets ou corrects. Dans l'un des dossiers dont nous disposons, il n'y avait par exemple pas une seule page de procès-verbal de surveillance — c'est pourquoi partir du principe que les flics aurait simplement laissé tomber une mesure autorisée judiciairement serait assez naïf. À notre avis il faut procéder de manière tout aussi prudente avec les pièces de dossier obtenues par ce biais.

Nous pensons qu'on pourrait se poser très sérieusement la question de savoir si cette sorte de prose policière devrait vraiment être lue dans sa totalité. Qu'attendons-nous de la lecture des résultats d'intrusions tellement dégueulasses dans nos vies ? Quelle place voulons-nous donner à des éléments que les flics ont assemblés pour nous ? Que regardons-nous, que laissons-nous volontairement de côté, pour ne pas donner accès à ces choses au « public » prévu ?

Évidemment, des informations peuvent être tirées de la plupart des dossiers sur la manière dont les autorités procèdent contre nous et ainsi probablement contre d'autres, et cette connaissance est importante à transmettre. En même temps, ils ne transmettent bien sûr que ce qu'ils veulent transmettre. Comment faire alors avec ce grand-écart, du fait qu'il peut être fort dégoûtant de lire de tels textes sur sa propre vie, ce qui est leur regard sur notre vie, et ce que cela peut nous faire, mais qu'en même temps il est important de transmettre les informations qui peuvent précisément être tirées de ces assemblages ?

En tout cas, il s'agit de moments volés contre la volonté des individus et interprétés par des flics, et qui n'existent en réalité qu'entre les personnes qui les ont vécus et partagés ensemble.

Dans ce qui suit, nous voulons tenter de donner un accès aux informations dont nous disposons. Non seulement parce que nous pensons que ces informations peuvent être utiles — mais aussi pour expérimenter une manière collective d'aborder le trouble que suscitent de telles attaques et intrusions.

À plusieurs reprises on voit dans les dossiers que les flics et les services de renseignements se préoccupent essentiellement de radiographier et de cataloguer nos relations et s'efforcent à partir de là de construire des potentialités de menace.

On peut considérer les informations à ce sujet comme une tentative de nous intimider et de finir par criminaliser nos relations — c'est pour nous une raison supplémentaire d'entretenir et d'intensifier les amitiés dangereuses, et de cracher à la gueule de la domination.

Les pièces que nous avons sous les yeux se composent d'une part des demandes de « traitement des données de surveillance » (§20 PolDVG) et de « traitement des données par l'application discrète de moyens techniques » (§21 PolDVG) par des keufs de l'Office régional de police criminelle au nom de Rönck, Stacke, Carstensen et Malick et d'ordonnances judiciaires émises par la juge Röckel, les juges Notmann et Hagge du tribunal d'instance. En l'occurrence le tribunal a autorisé sans exception toutes les mesures demandées par les flics. Suite à une réforme de la loi PolDVG en 2019, les surveillances de plus longue durée nécessitent désormais une ordonnance judiciaire préalable — ce qui ne représente manifestement pas un obstacle pour les flics, les motifs avancés pour les mesures sont certes tout à fait obscurs mais plus que suffisants pour le tribunal.

Comme principaux motifs de cette mise sous surveillance, ce sont surtout des dates, des événements et des occasions spécifiques qui ressortent et se cristallisent, pour lesquels les flics semblent s'attendre à des faits délictuels de la part de gens comme nous. Si dans l'affaire du Banc-public c'était l'anniversaire du sommet du G20 , dans les papiers que nous avons sous les yeux ce sont des occasions comme des débuts de procès, des expulsions, le sommet de l'industrie automobile à Munich (IAA), l'incendie de la cellule de l'anarchiste français Boris — le 13 décembre est même mentionné comme un jour à « effet irritant ».

Plus loin, ils compilent toute une masse d'annexes auxquelles il est fait référence dans les requêtes — notamment des contenus déjà connus de dossiers d'instruction de procédures passées, des actes d'accusation, des décisions judiciaires, mais aussi des conclusions des services de renseignements reposant par exemple sur l'exploitation de supports de données saisis dans le cadre d'enquêtes policières.

Dans l'ensemble, comme c'est courant dans de tels dossiers, beaucoup de choses sont biffées en noir. Surtout des passages qui ne font pas référence aux personnes concernées ou des allusions à des tiers. Naturellement sous prétexte de « protection des données » — de manière cynique après avoir fait irruption dans la vie de tou-te-s les individus concerné-e-s sans qu'ils et elles le sachent et avoir fouiné dans leur dos.

Comme nous l'avons dit, une grande partie du travail consiste à retracer les voyages et les relations. Dans notre cas il est apparu clairement qu'un dit « Avis de recherche d'observation » est en cours depuis quelques années déjà par le biais du Système d'Information Schengen (SIS II) et que d'autres informations par exemple sur des événements organisés dans d'autres pays d'Europe ont aussi été transmises aux flics allemands. En pratique une telle recherche d'observation par le SIS II conduit souvent à ce que des flics à l'étranger doivent remplir une fiche d'information sur laquelle doivent être notées des choses comme le but et la durée du voyage, les personnes accompagnantes et les véhicules utilisés, une manière de procéder qui touche de nombreuses personnes et dont nous entendons régulièrement parler.

Ce qui est étonnant, c'est que nous sommes assez certain-e-s que des billets d'avion que nous avons réservés apparaissent à l'office fédéral de police criminelle, mais ils ne se retrouvent cependant pas dans les pièces du dossier. Nous ne savons pas si ces données ne parviennent pas automatiquement à l'office régional de police criminel, si celui-ci ne les a pas demandées ou si simplement elles ne sont pas arrivées dans les dossiers, nous pensons que tout cela peut être possible.

Les procès-verbaux de surveillance occupent ensuite une partie beaucoup plus petite dans les pièces du dossier. Il s'agit en partie de procès-verbaux de surveillance et d'autre part d'exploitation de vidéos. De celle-ci il ressort clairement que des caméras ont été installées devant les domiciles des personnes concernées afin de pouvoir retracer les allées-venues. Ici, il ne s'agit donc manifestement pas d'une « surveillance en direct » dans le but d'empêcher des délits, mais de passer au crible le quotidien et l'entourage. Les caméras étaient très vraisemblablement placées dans des véhicules, l'angle d'une des photos laisse par exemple supposer qu'éventuellement la caméra de recul d'un véhicule garé a été remaniée pour servir à surveiller l'entrée. Le nombre des filatures effectives dans la ville documentées est anormalement restreint et se limite à des faits tout à fait banals. Là il faut partir du principe qu'il y a des lacunes. Les filatures ont probablement en partie eu lieu en vélo mais nous n'avons pas pu tirer des procès-verbaux d'informations plus précises sur le nombre de flics et de véhicules etc. y prenant part, uniquement que des photos ont aussi été prises en chemin et probablement avec un appareil haute définition.

Les informations qui nous sont données et surtout celles dont on nous prive ouvrent évidemment une immense marge d'interprétation. Nous conseillons de manière pressante de manier tout cela avec une beaucoup de prudence. Les spéculations, les suppositions, les thèses abruptes font plus de dommages qu'elles ne sont utiles. Les flics et autres autorités nous regardent vivre et lutter — ils nous observent et récoltent des données partout où ils le peuvent, c'est-à-dire où nous les laissons. Cela n'a rien de nouveau. La classification en tant que « menace » n'est pas une catégorie juridique mais un tiroir sans fond pour les services d'enquête. Les mesures qui sont prises semblent rester les mêmes. Ni dans les requêtes ni dans les dossiers ce concept ne revient une seule fois.

Nous proposons, aussi vis-à-vis de telles attaques et intrusions, de développer surtout une capacité d'action — nous préférons de loin affronter de manière offensive et collective cette sorte de mesures à la variante qui consisterait à nous débrouiller nous-mêmes avec toute cette merde. Il est important que nous nous informions mutuellement des accès aux procédés des services d'enquête — même si ces informations sont lacunaires et doivent être maniées prudemment. Il est important qu'à ce niveau aussi nous ne comprenions et n'affrontions pas la répression comme un problème individuel — ce n'est pas juste une attaque contre des personnes particulières caractérisées par certaines conceptions fantaisistes des flics, mais contre toutes celles et ceux qui entretiennent des relations et des projets rebelles. Et il est important que la répression ne nous fasse pas perdre la tête, que nous développions ensemble une manière consciente et claire d'en faire quelque chose. Nous ne voulons pas nous laisser déterminer par la répression à notre encontre — cela signifie aussi que nous ne voulons pas être mis-e-s de force dans le rôle de supposé-e-s expert-e-s. Et un moyen pour cela est précisément que d'autres compagnon-ne-s de lutte en butte à la répression partagent aussi leurs expériences et procès, et que nous développions justement une manière collective d'affronter ce genre de choses .

Tout comme nous ne nous laisserons pas intimider, nous ne voulons pas non plus nous émousser et nous endurcir à cause de la répression. Continuons à échanger, écoutons-nous et soyons là les un-e-s pour les autres. Nous pensons important d'avoir une position claire : nous considérons la surveillance de notre vie et de celle de compagnon-ne-s, ami-e-s, famille, voisin-e-s… comme des attaques ! Il est clair pour nous qu'elles sont une conséquence des rapports en vigueur et de nos combats contre ceux-ci. Et pourtant elles restent des dépassements de limites continuelles et des intrusions dans nos vies qui nous font peur et doivent nous faire réfléchir sur nos idées et nos décisions.

Leur objectif est de mettre un coup d'arrêt aux luttes sociales et révolutionnaires. Ils n'y arriveront pas !