Trucs et astuces pour les émeutes

2016
Contenido
Alemán • Francés • Inglés

Texto original en alemán
Tipps und Tricks für Riots and Stuff
2016
autonomesblaettchen.noblogs.org

Traducción al francés
No Trace Project

On pense que les émeutes c'est super, mais ceci n'est pas une contribution au débat sur est-ce que faire des émeutes ici ou là est toujours pertinent, est-ce qu'une émeute doit communiquer un message, et ainsi de suite. Ce texte part plutôt à la fois du constat que des personnes ont été arrêtées récemment, et du constat que certaines personnes participant à des émeutes pourraient parfois mieux se préparer. Pour être clair : on pense que c'est absolument OK que des camarades fassent des émeutes sans aucune préparation, et on ne veut pas être condescendant·e·s, ni prétendre qu'il est toujours possible d'éviter de se faire prendre. Néanmoins, on pense que nos participations à des émeutes nous ont apporté des réflexions et expériences utiles et on voudrait les partager avec tout le monde dans ce texte, parce qu'il est possible de réduire à la fois le risque de se faire prendre et les conséquences négatives si jamais on se fait prendre. Ces deux choses valent le coup, pour pouvoir continuer d'exprimer notre forte hostilité face à l'État, aux flics, aux nazis, au capitalisme, au patriarcat, etc., ensemble, à l'avenir.

Avant l'émeute

Notre approche est la suivante : on fait attention à nos comportements non seulement pendant l'émeute, mais aussi pendant notre vie de tous les jours. On se demande : quels comportements peuvent aider les flics et procureurs à nous cibler dans leurs enquêtes ? Il y a bien sûr beaucoup de choses à prendre en compte, et certaines sont trop compliquées, mais on veut donner ici quelques suggestions générales qu'on trouve importantes.

Pour commencer, le téléphone portable. Sans aucun doute, les téléphones sont d'une manière générale des trucs utiles. Cependant, ils multiplient les risques de surveillance. Il existe déjà de très bons textes qui abordent les aspects techniques, on ne veut pas parler de ça ici. En pratique, notre conseil est simplement : laisser les téléphones portables à la maison le plus souvent possible, même lors de sorties normales, de visites à des ami·e·s, etc. Quelques un·e·s parmi nous s'en sont même carrément débarrassé, parce que de temps en temps survient une conversation où des choses illégales sont involontairement abordées, et là les soucis commencent. Qui a un téléphone sur soi, est-ce qu'il est éteint ? Est-ce que ça suffit qu'il soit éteint ? Qu'est-ce qu'on fait avec les appareils ? C'est agaçant, et il y a toujours le risque d'oublier qu'on a un téléphone dans la poche. En les laissant systématiquement chez soi, tout le monde peut aider à éviter d'éventuels problèmes.

En plus, les enquêtes de police s'intéressent particulièrement à qui rencontre qui, où, et quand, et ces informations sont fournies par ces innombrables téléphones, même si on les éteint en arrivant au point de rendez-vous ou qu'on les met dans une boîte à l'écart. On pense que cet aspect est particulèrement important : imagine qu'une personne se fait prendre. Même le flic le plus stupide peut immédiatement se demander : avec qui est-ce qu'il/elle était ? Où est-ce qu'il/elle était à quel moment ? On ne veut pas répondre volontairement à ces questions, mais nos téléphones et leurs comptes Google et Apple fournissent les réponses sur un plateau d'argent. C'est sûr que c'est pas pratique de faire attention à ça, mais c'est encore moins pratique de se retrouver dans une cellule. Notre façon de voir les choses c'est que les données non pertinentes n'existent pas (« oh, on s'en fiche, c'est pas grave qu'ils sachent ça »), et qu'il n'y a pas de moyen réellement sécurisé d'utiliser un téléphone. Et tu ne devrais pas faire confiance aux applis qui prétendent le contraire (par exemple grâce au chiffrement).

Ce qui s'applique aux téléphones portables s'applique aussi à Internet et aux ordinateurs. Si tu ne fais pas attention en les utilisant, tu peux révéler beaucoup d'indices sur qui tu es ou tes activités, et ce avant même d'être impliqué·e dans une émeute. C'est pourquoi on s'assure que nos communications numériques sont chiffrées, qu'on utilise pas de systèmes d'exploitation vraiment pas sécurisés (Windows, macOS) et qu'on est aussi anonymes que possible sur Internet. Ce dernier point est toujours un compromis entre confort et sécurité, et même si on ne réfléchit pas aux questions de sécurité à chaque fois qu'on utilise Internet, on essaie de rester à jour. C'est vrai de toute technologie : celleux qui l'utilisent devraient se maintenir à jour. Les capacités technologiques augmentent à un rythme effréné de nos jours, et on veut au moins ne pas regretter de n'être pas resté·e·s assez à jour (même si ça peut toujours arriver). Au moins pour ce qui est de faire des recherches suspectes, de lire des articles à la légalité questionnable et tout ça, on recommende d'utiliser Tails. Pour un usage quotidien, on recommende d'utiliser un système Linux chiffré, Firefox (ou idéalement Tor) pour la navigation web, et de ne pas utiliser de services Google. Pour nous c'est important de ne pas utiliser Facebook, et on conseille à toutes les personnes qui aiment faire des émeutes d'éviter de l'utiliser.

Pourquoi ne pas utiliser Facebook ? Discuter de ça en détail sortirait du cadre de cet article, mais en gros les capacités d'analyse de Facebook (et Google) dépassent notre imagination et donc l'utiliser est presque aussi problématique que de divulguer des informations sensibles dans un bar.

Puisqu'on parle de ça, un autre aspect auquel on essaie de faire attention c'est de ne pas parler d'émeutes et de notre possible participation à des émeutes à des moments inappropriés. Les gens peuvent te trouver un peu bizarre à cause de ça parfois. Presque tout le monde est curieux, et si cela devient trop évident que tu mènes des activités secrètes, c'est contre-productif, mais tu dois être capable de gérer ça. Quoi qu'il en soit, on trouve ça important de ne parler de notre participation à des émeutes avec personne à l'exception des personnes avec qui échanger à ce propos est utile et nécessaire. Bien sûr ça arrive quand même de temps en temps, mais on essaie que ce soit le moins possible, et en tout cas de toujours décider explicitement des contextes où on veut en parler.

Des tels secrets peuvent être difficiles à gérer, parce qu'on vit des choses pas banales pendant des émeutes. En vrai on aime partager ces choses, et peut-être aussi avoir un peu de reconnaissance pour ces actes dans lesquels on s'investit tant. Ceci dit, on te conseille de gérer ça au sein de ton groupe affinitaire plutôt que de céder à la tentation. Comme pour le reste de ce texte, mieux vaut prévenir que guérir.

Est-ce que c'est bien rangé chez toi ? Bien sûr, chacun·e doit gérer ça comme iel le souhaite, mais il faut avoir en tête qu'on ne sait jamais vraiment quand une perquisition va se produire, ou ce qu'ils vont chercher pendant la perquiz'. C'est pourquoi on s'assure régulièrement que nos lieux de vie, qu'ils soient bien rangés ou chaotiques, soient au moins rangés dans le sens où il y aussi peu d'objets dangereux qui traînent que possible. Parmi ce qui ne devrait pas traîner : feux d'artifice, frondes, trop de vêtements du même type (gants, cagoules, sweats à capuche…), communiqués, textes comme celui-ci, et ainsi de suite. Le problème ne vient pas toujours d'un unique objet incriminant, il faut aussi éviter les regroupements d'objets suspects. Si on ordonne aux flics de toquer à ta porte en mode « Bonjour, c'est pour une perquisition, » ils vont clairement ne pas vouloir repartir les mains vides. Et tu devrais être bien préparé·e à ça, même si, voir même particulèrement, si tu ne prévois rien de très suspect mais que tu es juste actif·ve d'une manière générale. S'ils ne trouvent pas ce qu'ils cherchaient, ils essaieront de trouver n'importe quoi qui soit utilisable contre toi.

Passons au point suivent : les émeutes coûtent de l'argent. Non, on ne parle pas des dégâts matériels à x chiffres dont tout le monde parle, qu'on a pas à payer, mais de l'argent qu'on doit dépenser nous pour nous préparer pour l'émeute. Il ne faut pas sous-estimer cet aspect. Tu te dis peut-être, mais, les cailloux ça ne coûte rien ? C'est vrai, bien sûr, mais les gants coûtent de l'argent, changer de vêtements coûte de l'argent, les feux d'artifice coûtent de l'argent, voyager coûte de l'argent, les avocats coûtent de l'argent, etc. Donc c'est toujours important pour nous de parler d'argent et d'essayer de distribuer l'argent de manière à ce que personne ne se retrouve dans une situation financière difficile. Pour nous, la sécurité est prioritaire. Ça veut dire qu'on essaie de se donner de l'argent les un·e·s aux autres pour que personne n'ait à utiliser les mêmes vêtements trop souvent, puisqu'on attache beaucoup d'importance à changer ce à quoi on ressemble aussi souvent que possible. Certaines personnes adorent porter leurs super vestes Northface, et certaines recouvrent la marque avec du scotch avant une émeute ou une manifestation. Nous, personnellement, on ne trouve pas ça suffisant, alors on s'assure de porter des choses qu'on osera jeter sans hésiter, et d'en changer régulièrement. Et on conseille ça pour tous les types de vêtements, c'est-à-dire chaussures, pantalons, vestes, gants et ainsi de suite, tout sauf les chaussettes et sous-vêtements. Du coup, parfois on a pas l'air bien habillé·e·s quand on arrive en manifestation. Mais pour nous, le style n'est pas important.

Est-ce que c'est tout pour la préparation ? Presque, le dernier point c'est les préparatifs et la préparation concrète. On a jusqu'ici abordé des choses très générales, on va maintenant aborder la préparation juste avant l'émeute. À ce moment là, dans notre groupe, on prend le temps de bien discuter de tout. Où est-ce qu'on va et à quoi ça va ressembler ? Quelles vont être les possibilités ? Est-ce qu'on a tout ce qu'il nous faut ? Qui va fournir quoi ? Est-ce qu'on connaît d'autres camarades qui viennent ? Est-ce qu'une personne parmi nous est malade ? Est-ce que quelqu'un·e a des peurs ou préoccupations ?

Pour nous, cette dernière question est toujours très importante. Elle comporte un point critique. D'un côté, on peut tous·te·s devenir paralysé·e·s et obsédé·e·s par ces peurs et préoccupations, et ensuite on ne peut plus rien faire. D'un autre côté, les peurs et préoccupations peuvent aussi révéler des erreurs dans le plan ou une préparation insuffisante, choses qui peuvent ensuite être améliorées. C'est une bonne chose d'affronter nos peurs de temps en temps. Bien sûr, il est important de ne pas juger qui que ce soit pour ses peurs ou sa tendance à ne pas prendre ses peurs au sérieux, mais il est également important de ne pas laisser la peur nous mettre en situation de faiblesse. Au mieux on gére la peur, plus libres sont nos esprits et ça c'est toujours une bonne chose.

Une dernière chose sur les discussions préparatoires : en matière d'émeutes, presque tout le monde semble être un·e expert·e. « C'est toujours comme ça, » « C'est clair, les flics vont agir comme ci ou comme ça, » « Dans tous les cas, ci ou ça va marcher. » Des connaissances aussi exactes sont incroyables, étant donné que la plupart d'entre nous ont en fait très peu d'expériences en matière d'émeutes, puisqu'il y a malheureusement très peu d'émeutes en Allemagne… Dire « C'est absolument sûr que ça va se passer comme ci ou comme ça » n'est pas très malin. On essaie toujours de ne pas parler ainsi, et de plutôt rester ouvert·e·s à ce qu'il peut se passer. C'est moins important pour nous de répondre à la question « Est-ce que ça va se passer exactement comme ci ou comme ça ? » que de répondre aux questions suivantes : est-ce qu'on est préparé pour ce qu'on veut faire, est-ce qu'on est au clair sur nos objectifs personnels, et est-ce qu'on a tout ce dont on aura besoin pour agir si l'occasion de présente ? On se sent vraiment stupide quand on se retrouve d'un coup devant une occasion alors qu'on nous avait dit « Ça n'arrivera jamais, » et qu'on a pas ce qu'il faut pour en profiter. Un tel enchaînement où on se dit « ah, si seulement » peut nous mener à nous emporter et faire quelque chose sans réfléchir qui, certes, pourrait bien se passer, mais on préfère quand même être bien préparé·e·s. Donc, on essaie de discuter de tout à l'avance, et c'est parti.

Rapidement, deux derniers trucs : ne planifie pas excessivement. On a remarqué que si on passe des heures et des heures à parler de quelque chose, ces conversations ne servent à rien au final parce que les choses ne se passent pas comme on l'avait prévu. On pense qu'il vaut mieux une préparation flexible : réfléchis à ce que tu veux faire et prépare-toi pour ça, mais reste aussi ouvert·e aux occasions qui peuvent se présenter. Trop de préparation, prendre en compte trop de détails, peut mener à se focaliser sur un déroulé trop précis des évènements et ne pas arriver à s'adapter rapidement en cas d'imprévu, ou ne plus du tout pouvoir suivre le plan parce qu'un petit détail a changé, ce qui fait tout s'effondrer. Et ensuite on est très déçu·e·s parce qu'on avait passé tant de temps à tout préparer. Après tout, on ne parle pas d'une action concrète au milieu de la nuit où c'est possible de tout prévoir en détail, mais d'une émeute, où de nombreux facteurs peuvent évoluer dynamiquement.

L'autre truc : planifie suffisamment. N'y va pas dans l'idée que les choses vont commencer d'elles-mêmes. Ne compte pas sur une figure mystérieuse pour donner le coup d'envoi de l'émeute. La plus belle chose est d'être toi-même cette figure mystérieuse. Sois prêt·e à juste lancer un pétard ou de la peinture, c'est OK, pas besoin du programme complet à chaque fois. Peut-être que le pétard ou la peinture est justement ce donc tu auras besoin. Et, pour nous, c'est mieux de devoir ramener le pétard ou la peinture à la maison ou de s'en débarrasser quelque part plutôt que de ne rien avoir sur nous le moment venu.

Enfin et surtout, quelques astuces concrètes : aie une veste de rechange pour chaque émeute. Une paire de gants neufs (jamais sans gants !). Un bon masque, par exemple une cagoule ou un t-shirt (pas de chapeaux ou écharpes, ça va pour les manifestations mais pas pour les émeutes). Une paire de chaussures entièrement noires. Des vêtements de rechange à porter par-dessus ta veste noire extérieure. Un pantalon noir. Nettoie tout objet que tu vas prendre avec toi et nettoie-le encore si nécessaire, pour qu'il ait aussi peu de traces (empreintes, ADN) que possible. Si tu veux ou as besoin de passer un appel, utilise un téléphone jetable neuf chargé, avec une carte SIM neuve que tu n'as pas activée chez toi, et laisse à la fois la batterie et la carte SIM hors du téléphone quand tu es chez toi.

Pendant l'émeute

Pour nous, il n'y a pas de règle stricte sur quand démarrer. Parfois des gens préparent quelque chose, et si on est au courant de leur plan, on le suit ou non, selon si on le trouve pertinent. On réfléchit par nous-mêmes : est-ce qu'on veut faire une émeute, et si oui, on prend avec nous ce dont on aura besoin (voir ci-dessus). Parfois on sait à l'avance, parfois non. Dans tous les cas, c'est important pour nous de ne pas trop nous focaliser sur les flics avant le début de l'émeute. Dans notre expérience, les émeutes ont plus de chance de démarrer là il y a peu ou pas de flics, donc on cherche ces endroits.

On change de vêtements du mieux qu'on peut, loin des flics, et, si on ne peut pas faire autrement, on se replie aussi loin que possible dans une masse de gens et on se fait petit·e·s. La chose importante est que les flics ne nous voient pas en train de nous changer. Certains d'entre eux ont une bonne mémoire, et peuvent se souvenir d'à quoi on ressemblait avant et après s'être changé·e·s, s'ils nous voient faire. Pour cette raison, on évite de se promener à moitié changé·e·s. Donc, les vêtements d'émeute OU les vêtements normaux, mais si possible pas de mélange. Il y a des flics spécialisés dans le fait de retrouver des gens après coup, donc cet aspect est très important, pendant l'émeute comme à l'arrivée et au départ. Premièrement, ils ont toujours quelqu'un qui filme, et les images sont plutôt bonnes de nos jours. Ils évaluent les images pendant l'émeute elle-même, s'ils le peuvent, et attrapent des gens après coup. Et deuxièmement, ils ont des flics en civil qui répèrent les délits : ils sont là du début à la fin, ils regardent qui se change et à quoi la personne ressemble après, ils suivent cette personne jusqu'à l'arrivée de leurs collègues, et finalement ils font un signe indiquant qu'ils sont derrière une personne à arrêter. C'est pourquoi c'est si important de chosir un bon moment pour se changer, aussi bien avant qu'après l'émeute. Bien sûr, meilleur est le déguisement, moins ils seront capables de le reconnaître plus tard. C'est pourquoi on essaie toujours d'être rigoureu·x·ses quand on se masque. Par exemple, on utilise parfois des vestes noires très larges pour que ce soit plus difficile de reconnaître les formes de nos corps. Après s'être masqué·e·s, on se vérifie les un·e·s les autres pour voir s'il y a des cheveux qui dépassent ou autres éléments qui pourraient être reconnus. C'est pour ça qu'il est important de se changer/déchanger le moins possible.

Une émeute peut être quelque chose de très, très excitant. Surtout quand on ne regarde pas de l'extérieur, mais qu'on est en plein milieu. Ça a un certain nombre d'effets qu'on ne ressent pas tous·te·s tous les jours. Par exemple, l'adrénaline, qui a un certain nombre d'effets assez utiles pour l'émeute. Les flics ont aussi cet effet, et s'entraînent d'ailleurs spécifiquement pour le contrôler. On est pas des flics, et on ne s'entraîne pas pour ça, même si on pense que ce ne serait pas une mauvaise idée. Mais avoir cet effet en tête nous aide un petit peu à le gérer. Par exemple, après une forte poussée d'adrénaline, ce n'est plus si facile de se mettre amicalement d'accord et le ton des conversations peut un peu changer, ce qui peut être assez agaçant, surtout parce que tout le monde n'a pas une montée d'adrénaline au même moment et que ça n'a pas le même effet sur chacun·e. Soudainement une personne veut partir, l'autre personne veut retourner à l'offensive, et ça peut être difficile de communiquer sur un ton approprié. Ça peut être rebutant, mais on trouve utile d'en reparler plus tard plutôt que dans la rue.

À propos des difficultés liées à la prise de décisions : normalement on discuterait de tout suffisamment et chacun·e pourrait expliquer sa position. Mais quand on est stressé·e·s, c'est pas si facile. C'est pourquoi on décide à l'avance de qui va se déplacer avec qui, pour que tout le monde n'ait pas à se coordonner ensemble, ce qui de toute façon fonctionne rarement.

Pour l'émeute elle-même, bien sûr, il y a aussi des choses à prendre en compte. Par exemple, si tu ne peux pas lancer assez loin pour toucher ce que tu veux toucher, alors tu dois t'avancer. Si tu as peur de t'avancer, ou si ça ne fonctionne pas, tu ne devrais pas lancer, ou alors choisir une cible à ta portée. C'est aussi simple que ça, mais dans le feu de l'action, bien sûr, des choses volent dans tous les sens, et ça peut arriver que tes camarades te touchent sans bonne raison. C'est parce qu'iels n'ont pas pu suivre cette règle simple, soit parce qu'iels étaient trop excité·e·s, ou se sont sur-estimé·e·s, ou… peut-être qu'iels ne t'aiment pas, alors iels te lancent des trucs dessus et disent qu'iels étaient juste trop excité·e·s ? Peu importe la raison, on essaie d'éviter de toucher les camarades autant que possible, et on conseille à tout le monde de faire de même.

Quand les flics chargent, il veut mieux éviter de courir à perdre haleine, mais c'est quand même presque toujours ce qu'il se passe, même quand on a l'avantage numérique. Quand ça arrive, ça peut être utile de crier quelque chose de rassurant, comme « calmez-vous, » mais alors tu devrais toi-même éviter de courir. Si tu cours, ne renverse personne, et si tu renverses une personne, aide-la à se relever. Ce qu'on aime pas dans la course c'est que les plus lent·e·s se font quand même attraper, et en général on aime juste pas s'enfuir face aux flics. De nombreuses personnes sont d'accord avec ça, mais ne le mettent pas forcément en pratique, et pensent plutôt « J'aurai de la chance si je m'en tire en un seul morceau. » On ne devrait pas juger, mais quand même, si tu peux t'assurer de ne pas paniquer et te mettre à courir trop tôt dans l'émeute, et si tu peux courir tout en faisant attention aux autres, c'est un bon début.

Dans notre groupe affinitaire, on essaie toujours d'avoir une vue d'ensemble collective de si tout le monde est encore là. Au cas où on se perde, on a toujours un point de rendez-vous pour après l'émeute, loin de l'action, où on vérifie que personne n'a été arrêté. Pendant l'émeute on se perd parfois de vue, mais jusqu'ici on a presque toujours réussi à se retrouver, au plus tard après coup. Donc si tu as perdu tout le monde, essaie de rester calme. Tu ne seras sans doute pas seul·e longtemps, et si c'est le cas, il y a toujours le point de rendez-vous post-émeute.

Quand l'émeute est finie, elle est finie. En vrai, c'est une bonne chose à garder en tête. C'est quand les flics ont créé une situation à leur avantage, que les gros rassemblements se sont dispersés, et que les personnes habillées en noir se font de plus en plus rares. Il est alors temps pour nous de nous replier. Les circonstances concrètes dictent alors si on rentre à la maison, et par quel trajet. Quitter l'émeute est un aspect important pour nous, qu'on décide toujours entièrement à l'avance. On aime pas l'idée d'être arrêtés sur le chemin du retour, même si on s'est déjà débarrassé de tous les trucs suspects qu'on avait sur nous.

Après l'émeute, on se débarrasse de tous les vêtements dont on peut se débarrasser. De l'autre côté, la police scientifique commence son travail, et si tu pensais que les flics ne collecteraient pas tant de traces après une grosse émeute, tu t'es malheureusement trompé·e. Ils collectent autant de traces que possible, le mieux possible. Parfois ils récupèrent des cailloux et cherchent toutes les poubelles des environs pour trouver tes vêtements de rechange, par exemple. Tu devrais éviter autant que possible de laisser de l'ADN et des empreintes, et après l'émeute c'est important de te débarrasser correctement de tes affaires. S'en débarrasser correctement ça veut dire s'en débarrasser de manière à ce qu'une équipe de la police scientifique ne puisse pas les relier à toi.

Une fois chez nous, on se débarrasse encore de choses si nécessaire. Avant de partir de chez nous on essaie de garder nos trajets vers d'autres villes aussi secrets que possible, et quand on revient on essaie de garder nos activités au sein de l'émeute aussi secrètes que possible. On a remarqué qu'après une chouette émeute, notre prudence diminue pendant un moment, et on essaie de lutter contre cette tendance du mieux possible. On parle de ce qui s'est passé seulement avec des personnes de confiance, si possible, mais en détail. Qu'est-ce qui était bien ? Qu'est-ce qui n'était pas bien ? Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné du tout ? Qu'est-ce qu'on aurait aimé faire, mais qu'on a pas pu faire ? Sur quoi est-ce qu'on doit encore travailler ? Est-ce qu'il y a des besoins de solidarité contre la répression ? C'est quoi la suite ?

Et ensuite, tout recommence

Qu'est-ce qu'on peut dire en résumé ? Peut-être qu'on pense que si tu veux faire des émeutes régulièrement, tu dois changer un petit peu ta vie quotidienne. Tu dois t'informer sur comment les flics enquêtent là où tu vis. Te familiariser avec les techniques de surveillance. Apprendre à ne pas laisser de traces. Être capable de te montrer solidaire même dans une bagarre. Malheureusement, on ne peut pas tout sécuriser, il y a toujours un risque résiduel. Garde ce risque aussi faible que possible. Mieux vaut prévenir que guérir.

À plus !